10 Mai 2016
Depuis une dizaine d’années, le « temps de pose » des shampoings et autres masques capillaires (entre autres) a été subtilement et uniformément remplacé par « temps de pause ».
Adolescente, cela m’intriguait (oui, je sais, je me posais de drôles de questions, déjà).
Le shampoing prend-il une pause, auquel cas, inutile de le laisser poser, ou doit-il être appliqué et laissé sur le cuir chevelu plusieurs longues minutes à ne savoir que faire du temps vacant, temps de pause, passé dans sa baignoire. Et ça, c’était super important, pour l’adolescente que j’étais. Parce que, d’une part, perdre du temps dans une baignoire, il fallait que ça en vaille la peine, et, d’autre part, je comptais sur ledit shampoing pour me donner une magnifique chevelure, donc il fallait suivre les instructions à la lettre !
Et j’ai compris. Peu importe ce que ce glissement de sens de pose à pause pourrait donner comme matière à réfléchir aux spécialistes, psychologues et sociologues sur l’état de notre société où nous faisons peut-être fi du travail pour nous prélasser davantage, et apprécions les pauses et les vacances plus que toute autre génération qui n’aurait jamais pensé qu’une pause annuelle pût être une obligation...
Je pense aux entreprises où l’on doit indiquer le plus vite possible, si tôt rentré de vacances, les dates de ses prochaines vacances…
Ou bien, serait-ce signe d’une société où l’on ne prend plus le temps de rien « poser », ni de se poser, tout bonnement ? une société qui zappe d’une idée, d’un élément à l’autre – comme nos élèves qui ont du mal à se poser, parfois, mais réclament davantage de pause ! :-)
… Bref, ce temps de « pause » n’en est pas moins une erreur.
La « pause » est entrée en français à la fin du Moyen-âge comme terme de musique, pour désigner un temps de silence. C’est devenu ensuite une suspension momentanée d’une activité ou d’un discours, avant de prendre le sens actuel d’arrêt, de suspension ou de cessation d’une activité.
Le terme « pose » est apparu deux siècles plus tard pour désigner l’action de poser, de mettre en place ; ce mot est utilisé au xviiie siècle pour la « pose » que prend le modèle d’un peintre et un siècle plus tard en photographie. Si la « pause » était musicale avant d’être commune, la « pose » est commune avant de devenir picturale !
En fait, à l’origine, en ancien français, le mot « pose » signifiait « moment, intervalle de temps », ce qui n’est pas pour nous aider à distinguer les deux !
En effet, la confusion se trouve déjà dans l’étymologie latine : ces deux mots français viennent d’un verbe tardif « pausare » qui signifie « cesser, s’arrêter » ou, dans les textes chrétiens « reposer, gésir, être enterré ». Ce verbe a « mangé » les sens du verbe « ponere », qui signifiait, lui « poser ». Le verbe « ponere » (poser, déposer) disparu au Moyen-âge… ou presque ! il a donné en français le verbe « pondre », soit « déposer un œuf » !
Vous êtes perdus ?
Eh bien, vous pouvez toujours prendre une petite pause durant le temps de pose de votre crème réparatrice ! Et si la poule fait une pause avant de pondre son œuf, c’est peut-être qu’elle prend la pose pour le peintre qui vient de poser ses crayons ! :-)
Sources : www.cnrtl.fr; www.projet-voltaire.fr/blog/regle-orthographe/«-pause-»-ou-«-pose-» Félix Gaffiot Le Grand Gaffiot Dictionnaire latin-français, F. Martin, Les mots latins.
Le symbole "pause" vient du site "Freepik.com" et la poule est une illustration au crayon de couleur que j'ai réalisée pour illustrer la méthode de lecture de Viviane Fontaine, Apprendre à lire.