5 Mars 2018
J’enseignais donc dans le collège d’un bourg du Pas-de-Calais, tranquille et niché dans les vertes collines de l’Artois.
Passionnée de littérature, j’avais proposé à mes élèves de 3e[1] une séquence sur la poésie, leur faisant lire Nerval et même Jaccottet. Avant les vacances d’automne, je leur ai donné comme devoir la lourde tâche d’écrire un sonnet, je crois, en tous cas, un poème, d’après ce qu’on avait travaillé.
Professeur débutant, je n’avais pas d’idée de la difficulté du travail que je demandais, mais le challenge proposé leur plaisait.
Ils sont revenus de vacances avec des travaux qui ont dépassé largement ce que j’attendais. Des poèmes superbes, mis en page magnifiquement, l’une avait brûlé les bords de sa feuille pour lui donner un air de parchemin ancien ; une autre avait passé sa feuille au pastel mauve ; tel autre avait ajouté de magnifiques dessins ; tel autre encore avait calligraphié son texte.
Pour eux, la poésie était peut-être lié à quelque chose d’ancien, mais de très esthétique surtout. Ils étaient fiers de leur travail, et j’ai lu devant eux chaque poème, ce qui les a rendus encore plus fiers d’eux-mêmes et on a accroché leurs textes au fond de la classe.
Une semaine plus tard a eu lieu la réunion parents-professeurs.
J’ai alors découvert, à ma grande surprise, parent après parent, que j’avais fait travailler tout le village sur mes poèmes, et jusqu’à la grande ville d’Arras.
En fait, à chaque fois, toute la famille s’y était mise pour aider son enfant à faire rimer ses vers ! Telle maman avait appelé la cousine Alice qui faisait des études de lettres à Arras, tel papa avait retrouvé un vieux dictionnaire des rimes, telle autre avait fait venir la grand-mère qui connaissait un peu la poésie, et telle autre encore s’était assise avec son enfant à la table de la cuisine pour ordonner toutes les idées sur la feuille.
Tous m’en parlaient les yeux brillants. Visiblement, mon devoir avait été une aventure familiale.
C’était, il y a bientôt quinze ans, à une époque où les élèves n’étaient pas connectés entre eux jour et nuit par les réseaux sociaux et le groupe de classe sur Whats’app, comme mes gymnasiens[2] actuels. Les élèves se voyaient dans le village, à vélo ou à pied.
Et tout à coup, en parlant avec chaque parent tour à tour, j’ai eu la vision de ces villages rimant et versifiant, téléphonant et écrivant, et de ces enfants dessinant et calligraphiant, pour répondre à la demande de la nouvelle prof de français.
Et j’ai compris que si, pour l’Education nationale de l’époque, la tendance était de demander aux enseignants « d’aller vers la culture de l’élève » (de faire du rap en cours de musique, de lire des romans jeunesse en cours de français et bientôt de faire des exercices sur le texte de SMS), le rôle d’un professeur restait d’apporter la culture dans un lieu et des élèves, de faire vivre cette culture et de la faire fructifier.