Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Bénédicte Gandois

Entre écriture et musique...

Pour ne pas qu'il s'en aille!

Au hit parade des expressions incorrectes qui me hérissent en ce moment figure la conjonction « pour pas que », ou « pour ne pas que »… hérésie syntaxique, en lieu et place de l’expression « pour qu’il ne s’en aille pas » (encore mieux : afinqu’il ne s’en aille pas).

Si « afin que » a été remplacé dans le langage courant par « pour que », il paraît alors difficile de placer la négation où elle doit l’être, c’est-à-dire encadrant le verbe.

Il peut y avoir une explication psychologique et émotionnelle : le locuteur (= la personne qui parle) a le désir de montrer le plus vite possible que c’est une phrase négative : « je lui écris pour pas qu’il vienne », alors que la négation arriverait plus tard dans la phrase « je lui écris pour qu’il (ne) vienne pas »

L’Académie française statue sur ce point : « La subordonnée complétive de but, encore appelée complétive finale, peut être introduite, entre autres, par la locution conjonctive pour que : Il prie pour qu’il pleuve. Lorsque cette subordonnée est à la forme négative, la négation se trouve à l’intérieur de la subordonnée, c’est-à-dire après pour que : Il prie pour qu’il ne pleuve pas. Placer la négation pas, ou ne pas, entre pour et que est une incorrection, qui s’accompagne souvent de l’omission de la négation ne. »

on dit

on ne dit pas

Fermez la porte pour que les enfants ne sortent pas

Il va le voir pour qu’il ne se sente pas seul

Fermez la porte pour ne pas que les enfants sortent

Il va le voir pour pas qu’il se sente seul

 

Outre-Atlantique, l’office québécois de la langue française suggère plusieurs variantes permettant d’éviter cette boiteuse construction : « elle a publié ce livre pour éviter que cela ne tombe dans l’oubli » (et non : « elle a publié ce livre pour ne pas que cela tombe dans l’oubli »), par exemple.

Ou alors... Cette expression viendrait-elle d’une influence linguistique étrangère ? difficile de le dire. 

Je pense qu'une difficulté est liée à la construction de la négation elle-même.

En effet, si l’on revient aux racines du français, en latin, on utilise un seul mot négatif, qui suffit à marquer la négation : amat, il aime, non amat, il n’aime pas.

En ancien français, on utilise la particule non : Certes, ce dist Renart, non voil. (Ren III, 4367) (Certes, non, dit Renart)

La particule ne suffit également à marquer la négation : Ne l’amerai a trestut mun vivan(La Chanson de Roland, v. 323), autrement dit, « je n’aurai pas d’affection pour lui durant toute ma vie ». ou Il tel sevent (ils ne le savent pas), Rol. 1436

(source : Pour lire l’ancien français, Claude Thomasset, Karin Ueltschi, Nathan Université 128)

Cependant, on a pris l’habitude de lui associer un terme marquant une petite quantité, pour marquer davantage le sens de la phrase : « pas » (un pas, ce n’est pas une grande distance), « goutte » (une goutte, ce n’est pas une grande quantité), « mie », etc.

Et, peu à peu, dans le langage oral… la partie la plus ancienne, « ne », tend à disparaître (« nan, j’y vais pas »).

Donc, nous vivons avec une étrange et fugitive négation !

La négation disparaît à l’oral… et réapparaît parfois à l’écrit dans des phrases qui ne sont pas négatives mais qui montrent une crainte, une peur… et les couleurs de la phrase positive se teintent alors du gris de la négation. Dans la phrase « Elle craint qu’il neparte », elle le craint tellement, qu’elle met une négation !

Preuve que les langues sont faites aussi des émotions de ceux qui les parlent…

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Comme cela fait du bien de voir si bien exprimé ce qui me hérisse à longueur de temps. Le plus difficile est de l'entendre dans la bouche de journalistes, de professionnels de l'information.
Répondre